23 juillet 2008

La dame de Montgardin, d'après Juvenis

« M. Paparin estant sur la fin de sa course, le sieur de Chasteau-Gaillard, son neveu, pensant à un establissement, rechercha une jeune et belle femme, fille du sieur de l'Escuyer de Vaumeil, qui, estant atteint de la lèpre, alla au fleuve Jourdain et en guérit par l'ablution de ses eaux salutaires. Elle avoit pour mère damoiselle Isabeau du Plessis dont le père avoit esté massacré à Tallard, dans l'église, par les hérétiques, lorsqu'ils prirent d'assaut ce lieu, en haine de ce qu'il estoit trop bon catholique.
Ladite damoiselle de l'Escuyer estant veuve du sieur de Saint-Jaume, de la maison de Montgardin, ayant esté fiancée audit sieur de Chasteau-Gaillard, iceluy voulant conserver l'évesché de Gap à sa maison, il fit entendre à Dom Grégoire du Plessis, oncle de ladite damoiselle et frère de sa mère, qu'il luy feroit passer par son dit oncle une résignation de ladite évesché en sa faveur.
Mais ledit du Plessis, préférant les douceurs de la vie contemplative qu'il avoit gousté depuis quelques années dans la chartreuse où il estoit religieux, rejeta les offres dudit sieur de Chasteau-Gaillard, lui dit qu'il estoit plus amoureux de sa retraite que d'une mitre et qu'ayant renoncé absolument au monde il ne vouloit point d'évesché ni ouïr parler de son mariage.
Ainsi, les offres dudit de Chasteau-Gaillard estant rejettez, il s'en vint à Montgardin pour y voir sa fiancée et, ayant eu permission de l'espouser, on passa la nuit du jour qu'on avoit choisy pour cette cérémonie avec beaucoup de joye, de danses et festins, mesmes on remarqua que la fiancée et sa fille de chambre ne firent que danser et chanter mais, le lendemain au matin, comme on l'alla voir pour exécuter le mariage, on la trouva bien changée car elle dit à ses parents qu'il falloit qu'elle mourut et non pas se marier, qu'il n'y avoit plus de remède et qu'on luy fit venir un prestre ; ce qu'ayant esté fait, elle et sa fille de chambre s'estant confessées l'une après l'autre moururent presque en mesme temps. Ainsi les noces s'estant changées en deuil, le sieur de Chasteau-Gaillard se retira et, s'estant marié à une fille du sieur du Serre du Champsaur et de la damoiselle de Bonne, sœur du sieur d'Auriac, il fit passer une résignation à Charles-Salomon du Serre, frère aîné de la dite damoiselle, qui s'obligea par promesse signée de sa main de rendre à l'un des enfants de ce mariage la dite évesché dès qu'il seroit en estat de la posséder et qu'au cas qu'il manquast à sa parolle, il se soumettoit à la punition de Dieu. »
RAYMOND JUVENIS
Historien de Gap (1628-1705)
© Jean Marie Desbois, 2008-2009

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